dimanche 13 août 2017

Charlottesville: chronique d'un meurtre annoncé


Mise à jour du 10 juillet 2021:  La ville américaine de Charlottesville va déboulonner samedi 10 juillet les statues de deux généraux confédérés, qui avaient été à l'origine d'affrontements meurtriers entre militants d'extrême droite et manifestants antiracistes en 2017, a annoncé vendredi la municipalité de l'Etat de Virginie. Les statues représentant le général Robert Lee, chef de l'armée sudiste pro-esclavage pendant la guerre de Sécession, et le général Thomas «Stonewall» Jackson, tous deux en uniforme et à cheval, sont placées dans deux petits parcs près du centre-ville.https://twitter.com/Jake_Hanrahan/status/991971629747048Quelques jours avant l'attentat à la voiture folle commis par les néo-nazis à Charlottesville, qui a couté la vie à la militante antiraciste Heather Heyer (ci-dessous) Devon Arthurs, un ex-néo nazi américain aujourd'hui âgé de dix huit ans apprenait qu'il allait sans doute échapper à la peine de mort.
                                 Marche aux flambeaux des néo-nazis à Charlottesville
 
Devon Arthurs est emprisonné pour meurtre en Floride, et passera sans doute le reste de ses jours en prison. Cependant lui n'a pas tué des antiracistes, mais deux de ses ex-compagnons de route néo-nazis. Il les a tués, parce qu'il avait décidé, seul, de ne plus être néo-nazi, rupture qu'il avait symbolisée en se convertissant, seul aussi, à l'islam. Il les a tués, parce qu'ils préparaient un attentat. Sur les lieux du crime, la police a retrouvé des plans mais aussi des explosifs prêts à l'usage. 

Dans cette affaire, ce qui n'est pas commun n'est pas la préparation d'un attentat d'extrême-droite. La chose, malheureusement est banale, aux États-Unis comme en Europe. Ce qui l'est, c'est la tentative désespérée, délirante et terrible, d'un très jeune homme de rompre, seul, avec une mouvance et une idéologie de haine qui avaient pris le contrôle de sa vie. 

Penser à la solitude des jeunes néo-nazis dans des sociétés qui minorent le péril terroriste fasciste, ce n'est ni les excuser, ni les exonérer de leurs responsabilités dans leur choix. C'est juste prendre conscience des mécanismes terribles qui aboutissent au meurtre de masse, à la manière dont se créent en toute impunité des groupes meurtriers, à la manière dont se fabriquent les soldats de la terreur blanche. 
 
A Charlottesville, lors du rassemblement armé qui a précédé la tuerie à la voiture, parmi les participants, il y avait David Duke, à visage découvert, comme à l'accoutumée. Il participait pleinement aux cris antisémites des manifestants qui scandaient " Les Juifs ne nous remplaceront pas " soit l'application de la théorie du Grand Remplacement appliquée aux Juifs .
 
Duke a 67 ans, il est entré au Ku Klux Klan dans les années 1970, et milite depuis ouvertement, et sans trop de soucis pour la suprématie blanche. Il est raciste, antisémite, négationniste. C'est une figure internationale, qu'on retrouve parfois dans les colonnes de Rivarol en France. Il a également donné des conférences à l'invitation des régimes syriens ( voir ici)  et iraniens, en   2005 et 2006. Le 24 novembre 2005, David Duke participe à un meeting organisé à Damas par le gouvernement syrien. Il y déclare alors que « les États-Unis sont occupés par des Juifs qui contrôlent les médias et la banque ». Plus tard  il récidivait  « L'Holocauste ( la Shoah) est le levier utilisé par l'impérialisme sioniste, l'agression sioniste, la terreur sioniste et les meurtres sionistes ».

Duke a inspiré de nombreux tueurs néo-nazis dans un passé même très récent. Il était par exemple la référence de John Houser, qui en juillet 2015 a abattu deux femmes et en a blessé grièvement plusieurs autres, lors de la projection d'un film trop féministe à ses yeux.  

C'est la particularité mondiale des idéologues néo-nazis qui appellent ouvertement à la violence et à la terreur armée: une liberté de le faire qui connaît très peu de limites, et une indifférence sociale assez généralisée à leur égard. 

Et pas seulement aux États-Unis: partout en Europe, ce matin, des jeunes néo-nazis qui sont allés jusqu'au meurtre regardent sans doute de leur prison les exploits de leurs homologues américains, pendant que les leaders qui les ont inspirés ont les mains libres. 

En France, Jérémy Mourain purge neuf années de prison, pour des violences racistes, des tabassages avec ce qui s'assimile à des actes de torture, même contre d'autres néo-nazis de son groupe, plus jeunes que lui.
Pour le moment, il n'a pas encore à répondre de meurtres dont il s'est lui même vanté en prison: notamment, celui d’Hervé Rybarczyk , retrouvé noyé à Lille comme quatre autres personnes, en 2010 et 2011. Ce sont pourtant ses bavardages qui ont finalement amené la police et la justice à arrêter trois de ses compagnons de route pour les mettre en examen, après avoir longtemps considéré que toutes ces noyades étaient des accidents. 

Jérémy Mourain n'a même pas trente ans. Il a commencé sa carrière de néo-nazi très jeune, en organisant des ratonnades au hasard des cibles qui croisaient son chemin, les soirs où il avait décidé que ce serait l'ultra-violence raciste.
Puis il a rencontré Serge Ayoub qui a dépassé la cinquantaine, et formait déjà des jeunes tueurs dans les années 80. Serge Ayoub est toujours un homme libre, sans doute parfois un peu frustré de l'image qu'on lui accole dans les médias, un simple "chef de groupuscules", un "skinhead" folklorique et minoritaire. Frustré ou parfaitement satisfait, puisque c'est ce qui lui a permis de devenir en toute impunité un recruteur et un formateur d'assassins, que dans d'autres circonstances, pour d'autres idéologies, on appellerait terroristes.

En Suède, Viktor et Anton Thulin, purgent eux une peine de plusieurs années de prison, pour avoir commis des attentats contre des centres d'accueil pour migrants. Aucun des deux n'a atteint ses 25 ans, mais leur niveau d'endoctrinement se mesure par exemple, au fait que l'un d'eux s'était tranché un doigt à la hache pour "se punir d'avoir regardé des sites pornographiques". Quelques mois avant leurs attentats, en quête de violence plus grande que celle des groupes locaux, trop inexpérimentés à leur goût, ils étaient partis s'entraîner dans un camp paramilitaire international en Russie, et étaient revenus chez eux, sans être inquiétés pour ce "voyage", un peu particulier, alors qu'une autre destination pour faire la même chose, en Syrie par exemple, leur aurait valu une arrestation immédiate. Ce camp paramilitaire était tenu par un ancien soldat russe, dont le mouvement a beaucoup aidé les milices russes en Ukraine, et finance divers mouvements néo-nazis à travers toute l'Europe.

C'est l'autre caractéristique des mouvements néo-nazis, leur véritable statut d'internationale brune, dans tous les domaines, logistiques, financiers, pratiques, mais aussi théoriques. Et ce dernier aspect est extrêmement important dans la structuration politique et l'endoctrinement des jeunes tueurs. Contrairement aux clichés sur les "skinhead groupusculaires, ivrognes et désorganisés", les jeunes néo-nazis ont pour beaucoup soif de connaissances et leur passage au meurtre se fait sur la base de raisonnements et de références précises. Parce que des militants plus expérimentés et plus stratégiques font le boulot, il n'y a rien de plus facile que de se procurer en trois clics les textes fondateurs des suprémacistes blancs américains. Ces derniers font du terrorisme en petits groupes "indépendants," le modèle même de l'action politique réussie, la seule manière de réussir à porter des coups puissants à l'"ennemi".
La seule manière aussi d'être reconnu par les chefs, car tout le monde ne peut pas être chef, évidemment: et sur tous les forums transnationaux du net néo-nazi, l'endoctrinement et la fanatisation des plus déterminés passe aussi par des phases de culpabilisation et de dévalorisation. Les leaders idéologiques y raillent volontiers le jeune qui se prétend héritier des SS mais n'a que des croix gammées tracées sur les murs à revendiquer et n'a donc pas fait ses preuves.

Quant au soutien d’États puissants comme la Russie où les États-Unis, il apparait aujourd'hui  dans la figure de Donald Trump, dont la victoire a aussi été permise par l'extrême-droite la plus fanatique. 
Certains de ses conseillers sont eux-même des animateurs de sites conspirationnistes et racistes, qu'on appelle désormais "alt right", comme on appelle ici le Front National "populiste", ce qui euphémise un peu leur nature réelle et donne l'impression d'une frontière bien marquée entre eux et les jeunes tueurs. Jusqu'au moment, où Trump renvoie les tueurs et leurs victimes dos à dos, ce qui crée évidemment un moment de gêne international.

Il durera sans doute peu, notamment en France, où l'habitude politique de renvoyer dos à dos les néo-nazis et les "antifas" est bien ancrée, depuis la mort de Clément Méric, réduite par de nombreux commentateurs à une "bagarre entre bandes rivales et violentes". Il durera d'autant moins longtemps que l'ancrage dans le débat politique de la fameuse "liberté d'expression", permet à l'extrême-droite de bénéficier d'alliés inattendus dans l'opinion publique dès que la question se pose de la répression contre les discours de haine et de violence. Très tranquillement, il y a quelques jours, Alain Soral saluait la mémoire du négationniste Ernst Zundel récemment décédé, comme celle d'un "grand Allemand", tandis que Robert Faurisson et ses amis postaient un peu partout sur les réseaux sociaux et sur You Tube, des vidéos d'"hommage" au grand héros.

Aux États-Unis, plus de 230 personnes ont été tuées par des suprémacistes blancs depuis 1995. Ce chiffre ne concerne que les meurtres aboutis, les tentatives de meurtres, les opérations punitives, les viols, ou la terreur exercée à l'intérieur même de ces mouvements est difficilement chiffrable.

En Allemagne , où les attentats néo-nazis contre les réfugiés sont devenus ordinaires ces deux dernières années, le procès du groupe armé NSU s'achève après quatre ans, et laisse les proches des victimes dans la colère et le désarroi: à aucun moment, en effet, il n'a été possible de mettre en lumière les responsabilités des différents services de l’État dans le laissez-faire qui a accompagné le périple sanglant des tueurs et leur a permis d'assassiner au moins treize personnes en toute impunité pendant plus de dix ans.

En France, de même, les procès de jeunes tueurs supposés comme Jérémy Mourain sont encore et toujours limités à des condamnations isolées, sans réelle enquête , ni action contre les réseaux qui leur donnent la capacité de pousser leurs désirs de mort et d'ultra-violence jusqu'au bout. Jusqu'au jour où leur portrait défile dans les médias, visages terrifiants et énigmatiques de jeunes machines à tuer, qu'on appelle souvent "loups solitaires".

Mais c'est bien parce qu'ils sont tout, sauf solitaires que les visages des victimes, eux aussi défilent.

Heather Heyer est la dernière en date, et elle aurait pu ne pas mourir.  Il suffisait de prendre au sérieux les néo-nazis qui avaient eux même annoncé qu'ils venaient à Charlottesville pour semer la mort.
 Puisse l'émotion suscitée par ce meurtre atroce déboucher sur l'action, enfin, aux États-Unis et ailleurs.

MEMORIAL 98 
 
 Mise à jour du 7 décembre 2018 

James Fields a été reconnu coupable de meurtre lors de son procès à Charlotteville, alors qu'il prétendait avoir agi en état de "légitime défense" et s'être senti menacé. Sa peine sera décidée plus tard.

Le ministère public (parquet) a présenté au jury un texte envoyé par Fields, à sa mère avant de partir au rassemblement de l'extrême-droite. Celle-ci lui demandait d'être prudent, Fields lui avait répondu : "Nous ne sommes pas ceux qui avons besoin d'être prudents", message accompagné d'une photographie d'Adolf Hitler, qu'il admirait.  Fields, aujourd'hui âgé de 21 ans, avait également plusieurs comptes sur les réseaux sociaux où il exprimait son soutien au suprématisme blanc et au IIIe Reich, prônant la violence contre les Noirs et les Juifs.
Lors du procès, plusieurs personnes blessées lors de son agression ont témoigné de leurs souffrances et de leur traumatisme.
Un an environ après l'attentat de Charlottesville, a eu lieu la tuerie antisémite de la synagogue de Pittsburgh, le 27 octobre dernier.
Le combat contre la peste nazie est plus que jamais d'actualité  

Memorial 98


 
Mise à jour du 15 mai 2018:

Des militaires américains membres du groupe néo-nazi violent Atomwaffen Division ont participé à l'attaque de Chalottesville. Vassillios Pistolis,  membre du corps des Marines et de ce groupe  est photographié en train de frapper un manifestant antiraciste, ce dont il s'est lui-même vanté . 
Le scandale frappe l'armée US et met en lumière sa complaisance à l'égard des suprémacistes blancs et autres fascistes.

                                            
                                         

                                    Pistolis frappant une personne à terre et dans son uniforme des Marines

Mise à jour du 10 juillet 2021:  
La ville de Charlottesville va enfin faire enlever ce 10 juillet les statues de deux généraux confédérés, qui avaient été à l'origine de l'assaut meurtrier des militants d'extrême droite et  de la mort de la manifestante antiraciste Heather Hayer en 2017. 
La décision municipale est ainsi mise en œuvre avec quatre années de retard.
Les statues représentant le général Robert Lee, chef de l'armée sudiste pro-esclavage pendant la guerre de Sécession, et le général Thomas «Stonewall» Jackson, tous deux en uniforme et à cheval, sont placées dans deux petits parcs près du centre-ville.
MEMORIAL 98 

 ( janvier 2021) Voir des articles de Memorial 98 sur les USA et Trump: 

http://info-antiraciste.blogspot.com/2020/10/etats-unis-une-election-encore.html  (élection 2020)

http://info-antiraciste.blogspot.com/2020/10/trump-les-enfants-migrants-isoles.html  

http://info-antiraciste.blogspot.com/2020/04/les-afro-americains-durement-frappes.html

http://info-antiraciste.blogspot.com/2018/06/america-first-le-slogan-fasciste-de.html

http://info-antiraciste.blogspot.com/2016/11/13-novembre-hommage-rosa-parks-et-la.html

http://info-antiraciste.blogspot.com/2016/03/trump-bloque-chicago-bravo.html  (campagne Trump 2016)

http://www.memorial98.org/2015/06/charleston-la-menace-terroriste-d-extreme-droite-grandit.html

http://www.memorial98.org/article-24466321.html ( Obama)

http://www.memorial98.org/article-25281598.html ( Lincoln et Marx)

https://info-antiraciste.blogspot.com/2018/10/terrorisme-antisemite-pittsburgh-le.html







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