mardi 18 octobre 2016

Lampedusa: récits d'une île d'accueil




Mis à jour du 27 mai 2017



Méditerranée: des milliers de migrants en difficulté au large de l'Italie. Le sommet du G7 en parle à peine, alors que sa tenue bloque les secours.

Des milliers de migrants étaient encore en détresse vendredi 26 mai au large de la Libye, alors que les quelque 6.400 secourus ces derniers jours arrivaient en Italie ou étaient encore en route, dans des conditions souvent difficiles.

En raison du sommet du sommet du G7 qui se déroule en Sicile, les débarquements y sont interdits cette semaine, ce qui rallonge considérablement le trajet des navires de secours.

"Heures d'angoisse avec des milliers de personnes à la dérive en Méditerranée. Les secouristes demandent des renforts, où il y aura encore des tragédies", a commenté Carlotta Sami, porte-parole en Italie du Haut commissariat de l'ONU aux réfugiés (HCR), alors que plusieurs ONG s'interrogeaient: "Où sont les navires européens ? Où est Frontex ?".

- Ni eau, ni vivres -
Dans le même temps, plus de 6.400 personnes secourues cette semaine au large de la Libye ont pris la direction des côtes sud de l'Italie, dont environ les deux-tiers vendredi.
La Croix-Rouge italienne a annoncé que 250 bénévoles étaient mobilisés depuis l'aube dans les ports concernés, en particulier pour aider au regroupement des familles dont les membres ont été séparés au moment de l'embarquement ou du secours.
La tâche est délicate, d'autant que les migrants sont souvent répartis dès l'arrivée au port vers les innombrables centres d'accueil qui hébergent déjà quelque 175.000 personnes à travers toute l'Italie.
Pour les migrants déjà secourus mais encore en mer, la situation était souvent difficile: les navires commerciaux n'ont ni eau, ni vivres, ni couvertures à leur fournir, alors que les côtes sud de l'Italie sont à 48 heures de navigation, contre 24 heures pour la Sicile.

Le Prudence, affrété par Médecins sans frontières (MSF), a lancé un appel à l'aide vendredi, alors qu'il faisait route vers Naples, avec plus de 1.400 personnes à bord, le double de sa capacité.
Depuis le début de l'année, l'Italie a vu débarquer plus de 50.000 migrants sur ses côtes, sans compter ceux secourus ces derniers jours, tandis qu'au moins 1.442 autres sont morts ou disparus en mer, selon l'ONU.

L'actuel afflux n'a rien d'exceptionnel. Il y a exactement un an, plus de 13.000 personnes avaient été secourues en 5 jours fin mai 2016, tandis que plus d'un millier d'autres avaient trouvé la mort.

Et ainsi, les "grands de ce monde" devisent et organisent la traque aux migrants pendant que ceux-ci se noient ou sont sauvés par les bateaux des associations ou des garde-côtes.




MEMORIAL 98




Actualisation du 12 décembre 

« Fuocoammare » récompensé comme meilleur documentaire de l'année, lors de la 29e cérémonie de remise des prix du cinéma européen, le 10 décembre, à Wroclaw, capitale européenne la Culture 2016. 

C'est une bonne occasion de faire connaître cette oeuvre.

Memorial 98

Le documentaire italien Fuocoammare-Par-delà Lampedusa, de Gianfranco Rosi, sorti en février 2016, a obtenu un Ours d'or au festival du film de Berlin.

Fuo… mare… On bafouille quand il faut annoncer le titre à la caissière du cinéma.
 Mais heureusement Lampedusa figure aussi dans le titre enregistré dans notre mémoire, tel un message subliminal.
Combien de fois a-t-on entendu ou vu le nom de cette île sicilienne, à la radio, à la télévision, à la Une des journaux ? 
Des migrants qui accostent ou meurent en route sur le point d'atteindre leur objectif : rejoindre l'Europe afin de fuir la guerre et la famine, quel qu'en soit le prix à payer. 

Les premières images se fixent sur la mer d'huile, un ciel bleu intense, une île parsemée de vert, un nom poétique qui chante le soleil et la lumière. Fuocoammare signifie : ˝mer en feu˝. Pourtant l'eau et le feu ne font pas bon ménage !

Immédiatement, les gyrophares tournent, avant le drame. Ils bleuissent le ciel d'encre. Des hommes s'affairent, enserrés d'une combinaison blanche qui les protège des pieds à la tête.  
Ces silhouettes immaculées n'ont pas de visage. Leur corps s'agite sur un bateau militaire de sauvetage.
Blancheur d'une trêve pour les hommes, les femmes et les enfants en détresse, qui appellent au secours. Un porte-voix s'égosille afin d'obtenir la position de ce ˝rafiot˝ à la dérive où des êtres humains sont amassés. Ils abordent enfin. Les plus vaillants, ceux qui étaient en haut ou sur le pont, débarquent les premiers. Les plus faibles, ceux qui étaient dans la cale, dégagent une odeur de pétrole : ˝Ils pourraient s'enflammer˝ lance un sauveteur ...

Le coût de la traversée n'est pas le même qu'on soit en haut, sur le pont ou dans la cale : une hiérarchie dans l'échelle sociale, pour atteindre dans des conditions déplorables une terre promise.

Une étincelle dans la nuit : chaque naufragé est enveloppé dans une couverture de survie. 
Un sauveteur prend une photo tandis qu'un autre tient un petit carton à la droite des visages hagards. Une date et un numéro y sont inscrits. On les décompte, on les ˝nomme˝ : Lybie, Érythrée, Syrie, Somalie…
Épuisés, ils se meuvent comme des automates, les femmes pleurent; la caméra n'expose pas les enfants. Tous sont transis. 
C'est l'hiver à Lampedusa, la végétation est aride, l'île pelée. Un choix du réalisateur de filmer pendant cette saison.
Des images en filigrane : des corps inertes en hypothermie, gonflés d'eau et morts. La caméra, discrète, ne s'attarde pas.
Le réalisateur dresse le portrait le quelques autochtones de l'île : un médecin, l’animateur d'une radio locale, un enfant d'une douzaine d'années et sa grand-mère.
Un récit s'élabore, aller retour, entre la vie quotidienne des habitants et la radio qui parle de naufragés. Deux mondes se côtoient sans jamais se croiser. C'est le parti pris du réalisateur de ce documentaire subtil et singulier.

Les gyrophares illuminent inlassablement les nuits.
Les sauveteurs ont des gestes automatiques, presque rituels. Ils exécutent leur travail consciencieusement. Le médecin se penche vers ces êtres anéantis, grelottants de froid et leur prodigue des paroles réconfortantes.

Il fait jour, une mélodie s'égrène à la radio. L'enfant court dans la forêt. Sa grand-mère fait son lit, méthodiquement. Les draps immaculés n'ont pas un pli.

Demain on entendra qu'un bateau s'est renversé non loin des côtes faisant tant de morts.
Comme cette habitante, en train de plumer un poulet dans sa cuisine, commentera-t-on « pauvres gens » avant de partir faire le marché ?

Point de passage sur la route maritime entre l'Afrique et l'Europe, cette ile minuscule de vingt kilomètres carrés a vu passer depuis vingt ans quelque 400 000 migrants. Depuis 2010, la vague migratoire s'est accentuée. Le nombre de morts est saisissant : 15000 depuis 2010, 33000 depuis 2002, à la mesure du traitement dégradant imposé par l'Union européenne.

L'exploitation par les passeurs est scandaleuse: 1500 euros pour traverser en haut du navire, 1000 euros sur le pont, 800 euros dans la cale. 

Il faut aller voir ce film avant qu'il ne disparaisse des écrans, ou se procurer le DVD. Le sujet est impitoyable. Il ne s'agit pas d'une randonnée sur l'ile de Lampedusa telle qu'elle est décrite sur les dépliants destinés aux touristes.

Lampedusa, signifie ˝torche˝. Ce nom musical et lumineux n'évoque plus que des naufragés. Il y en a eu des centaines et puis des milliers.

Laurent Gaudé (écrivain français), dans son roman ˝Eldorado˝ paru en 2006, décrivait ces ˝voyages˝ avec un réalisme poignant. Personnage principal : un commandant, gardien de la citadelle Europe, chargé d'intercepter les embarcations des émigrants clandestins. Des histoires de vie de tous ces hommes et femmes en quête de liberté. Ils ont rêvé le paradis Europe. 

L'arrivée est fracassante de ces êtres harassés. Un roman d'une actualité brûlante.

EL


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